Il était coutume que les participants au concours des Roches Noires franchissent l'entrée du labyrinthe sous les encouragements de leurs troupes.
Certains emmenaient même des ménestrels dans leurs bagages pour encourager la foule à les soutenir.
Mais les amis de Thorulf n'avaient aucune envie de chanter.
Grand Nain risquait sa vie contraint et forcé pour sauver celle des siens, et pas pour ses besoins de gloriole personnelle.
Astrid serrait la main de Solveig alors qu'il s'enfonçait dans le couloir de roche, et une tension inhabituelle avait envahi les lieux.
Le silence qui s'était abattu sur l'assistance fut très vite interrompu par un fredonnement au ton joyeux et chamailleur.
Chantait-il pour passer le temps, ou pour se donner du baume au cœur ?
Thorulf avait entonné une petite chanson, et l'écho des grands murs de cette roche si noire mais si scintillante à la fois faisaient parvenir sa voix vers l'extérieur avec une limpidité étonnante.
Alors que la voix de Thorulf se faisait de plus en plus sourde, une voix moqueuse qu'Astrid connaissait bien se mit à la couvrir.
-Me voilate rassénéré, j'eusse-t-eu cru d'arriver en retard !
Grâce à son influence financière, Lancelin avait des oreilles dans toute la ville.
Une rapide enquête lui avait permis de faire suivre Astrid discrètement puis de comprendre le plan de Thorulf.
Amusé par la tentative désespérée de Grand Nain, il avait insisté pour venir apprécier la mort du célèbre Viking aux Roches Noires. Accompagné de ses hommes, il avait même décidé de transporter Klotilde avec lui sur un petit bûcher habilement disposé sur une charrette.
-Nous laisserâmes Thorulf jouer sa partie avec honnorification, puis nous brûlerons la sorcière devant son cadavre aplati, aurait-il dit à sa femme avant d'enfiler ses culottes en sautant du lit. Un bûcher de sur la plage sera la plus belle chose jamais jamais vue.
Une immense brute de deux mètres de haut se jeta immédiatement sur Solveig pour la maintenir au sol d'une clé de bras, et Rolf n'eut même pas le temps de s'offusquer qu'il sentit la pointe aiguisée d'une lame sous sa gorge.
-Si tu bouges, je t'ouvre comme une huître.
Cette fois-ci, deux hommes d'armes agrippèrent Astrid. Arnault, encore, toujours vexé de son bain forcé de la veille, accompagné cette fois par son frère Bernarth. Ils la saisirent chacun par un bras, faisant chuter au sol la crêpe aux mûres qu'elle laissait refroidir dans ses mains.
Lancelin se tourna vers l'abbé Chaudmoite, le saluant d'une révérence très appuyée.
-Je me devais de porter à vos oreilles monastiques l'arrestation de cette sorcière Nordique, adorateuse du grand serpent qu'elle s'est faite graver dans peau. Je comptais la faire juger et brûler de par mon aumônier, mais ce serat' un honneur pour moi de vous accorder ce sacrifice de par Dieu !
L'abbé Chaudmoite n'aimait pas la violence. Ses parents assassinés par des voleurs de bétail, il était entré dans les ordres par amour pour le message de paix qu'il y trouvait, et toutes ces histoires de crémations d'humains étaient loin d'être sa tasse de thé.
Il s'était d'ailleurs installé dans cette région sans influence du roi des Francs pour la simple raison que les bûchers s'y faisaient plus rares.
Il portait du violet parce que pour lui, les jours de concours des Roches Noires étaient synonymes de deuil, mais il préférait de loin accompagner des suicidaires vers une mort consentie que de brûler des femmes pour des crimes tels que la concoction de tisanes ou danser nue la nuit.
Vous l'aurez compris, le tempérament de Lancelin était tout autre. Il était toujours impliqué de près ou de loin dans les accusations de sorcellerie de la région, et l'abbé avait tendance à l'esquiver au quotidien pour éviter les ennuis.
Mais il avait beau être homme de paix et populaire , Chaudmoite n'était absolument pas en position de contester qu'une personne avec un tatouage de serpent puisse être autre chose qu'une sorcière.
-Je pensâtes que ce Thorulf a fait son choix, et je n'ai pas d'autoritarianisme pour le contester, ironisa-t-il. Nous considérions sa visite du labyrinthe comme un jugement de Dieu d'un accord commun. Vous a-t-il laissé le bénir avant d'entrer ?
Effectivement, Thorulf, toujours respectueux des coutumes des pays qu'il visitait, aussi sûrement qu'il faisait enlever ses figures de proues en terre étrangère, avait accepté la bénédiction de Chaudmoite.
Soudain, un bruit effrayant perça les oreilles de toute l'assemblée. Aussi puissant et bref qu'un tremblement de terre, il pétrifia toute l'assemblée et mit fin aux jours de la pauvre Gigi la crêpière qui tomba morte d'un arrêt du cœur dans sa bassine de mûres sans que personne ne le remarque.
Il ne fallut que quelques secondes pour que le bruit reparte de plus belle, et encore plus fort.
-Qu'est-ce qu'il se passe-t-il, demanda Lancelin ?
-Je n'en ai aucune idée, répondit le prêtre. La bête et l'écho de ces murs nous ont habitués à tous les sons de mise à mort imaginables. Et les années passant m'ont permis d'identifier chaque type de décès très précisément en utilisant seulement mes oreilles. Mais ce son là, je ne l'ai jamais entendu ... Pas avec cette puissance ...
Astrid essayait de retenir ses larmes. Elle ne voulait pas paraître faible devant leurs ennemis, mais voir Klotilde attachée sur ce bûcher lui rappelait la mort de sa mère. Et elle ne voyait pas comment cette situation pouvait finir autrement.
Au troisième fracas sonore, le regard de la petite fille et de sa capitaine se croisèrent avec la même expression d'angoisse. Elles avaient bien reconnu la voix de Turold au milieu du tumulte sonore et cela ne voulait dire qu'une chose. Le combat avait commencé.
Au quatrième fracas, ce sont les amis de Thorulf qui s'étonnèrent à leur tour de l'intensité des cris de leur camarade.
Thorulf était un personnage charismatique mais discret, et on ne l'avait que rarement entendu hurler sur des champs de bataille.
C'en était trop. Astrid glissa son pied sous la crêpe aux mûres encore brûlante étalée sur le sol et l'envoya d'un geste étonnamment précis sur le visage d'Arnault.
Celui-ci lâcha immédiatement le bras droit d'Astrid en hurlant de douleur et Bernarth s'évanouit immédiatement à la vision du visage de son frère couvert de confiture de mures, le croyant défiguré par quelque maléfice.
Ainsi libérée, Astrid courut immédiatement vers l'entrée du labyrinthe sous le regard de Lancelin qui ne donna même pas l'ordre de la poursuivre.
-Qu'elle passe l'arme à gauche par dessus la jambe avec son nabot. Peu nous importe. Que nous prépariames le bûcher, les amis.
(Musique par Sphinks)
Elle courrait à perdre haleine, à travers les couloirs de pierre aux sols jonchés de crabes, d'algues et de bulots portés jusqu'à l'intérieur quand la marée était haute.
Elle ne savait si les bruits de craquements sous ses pieds provenaient des coquillages ou des ossements des victimes du monstre et elle s'en moquait éperdument.
Klotilde avait besoin de l'aide de Thorulf et Thorulf avait besoin de son aide. C'était comme ça et pas autrement.
-Je suis une Viking. Je suis une Viking, répétait-elle à s'en couper le souffle alors qu'elle s'engouffrait dans l'obscurité, essayant de se guider avec les cris de la bête et de Turold.
-Non, pas par là, prend plutôt le couloir de gauche !
La voix de Solveig souffla dans l'oreille d'Astrid comme si elle était à ses côtés.
Solveig la chasseuse avait entre autres qualités exceptionnelles un flair et une ouïe hors du commun. Ses talents de chasseuse connus à travers tout le monde nordique lui avait fait maîtriser comme personne les courants des vents, et comment faire porter sa voix à travers eux.
-A gauche, encore, et seulement ensuite à droite !
Solveig avait écouté Turold. Elle avait écouté l'écho de son chant sur les parois, le son de ses pas sur les roches.
Et elle chuchotait maintenant, sans que la brute qui lui tordait le bras, ou quiconque d'autre qu'Astrid puisse l'entendre. Faisant porter sa voix jusqu'à l'enfant par les courants d'air et les vibrations de la roche.
- Ne glisse pas dans le lac souterrain, sa surface est calme et silencieuse, mais ses eaux sont profondes.
-L'eau est luminescente, répondit Astrid comme si Solveig était à côté d'elle. Les algues ressemblent à des lucioles.
-C'est bien Astrid. Si tu peux en ramasser, utilise-les comme une torche.
-J'ai déjà eu l'idée ! N'oublie pas que je suis une viking maintenant.
Solveig ne put retenir un petit rire devant la candeur et la fierté d'Astrid.
Un petit gloussement qui attira immédiatement l'attention de Lancelin.
-Elle lui parle avec la magie démonesque, stoppâtes cette diablesse!
Lancelin ramassa aussitôt un des nombreux morceaux de roches qui jonchaient la plage pour frapper Solveig derrière la tête.
La chasseuse s'évanouit immédiatement, sous les cris de rage de Rolf.
- J'espérions que nous avons emmené assez de bois pour les deux femmes, glissa-t-il à l'abbé qui resta silencieux, presque autant choqué par les actes de Lancelin que par sa conjugaison.
Astrid était seule maintenant. Elle brandissait les algues luminescentes devant elle, avançant pas à pas, utilisant de nouveau les horribles sons qui éclataient encore à intervalles réguliers pour se guider.
Plus elle avançait, plus la lumière revenait. Comme si l'on quittait les sous sol pour revenir dans un dédale à ciel ouvert et proche de la mer.
Elle sortit de ses vêtements un petit cristal taillé en biseau. Bifrost était son nom en raison de ses reflets arc-en-ciel. C'était le seul souvenir qu'elle avait de ses parents et elle y puisait toujours du courage quand elle devait faire face à une tempête.
Elle reprit son souffle en le tenant fort contre son coeur, ravala les larmes qu'elle avait laissé couler sur ses joues quand personne ne l'observait et ramassa un manche de lance qui traînait par là.
Elle utilisa les algues très élastiques pour attacher le Bifrost sur le manche, et empoigna son arme de fortune comme une guerrière.
Elle emprunta un petit casque fendu au squelette de Sir Drake, un aventurier Britton qui avait défié la bête une dizaine d'années auparavant.
Une jambière d'armure Mauresque suffit à créer un bouclier pour son petit corps, et un foulard de soie de Chine autour de la bouche lui permettrait de respirer car si elle pouvait peut-être éviter les coups de la bête, les éclats et la poussière pourraient la déconcentrer.
Le sol tremblait maintenant à chacun des hurlements du Dragon des Roches Noires. Si fort que certaines pierres décollaient de quelques centimètres du sol puis retombaient en frappant les nombreuses armures plus ou moins plates, ainsi que les débris des armes laissées par les victimes écrasées par le monstre.
Le vacarme était maintenant intenable et provoquait des nausées à Astrid.
Elle était persuadée que les sons venaient de l'autre côté du mur de roche contre lequel elle se tenait, mais n'en trouvait pas l'entrée. Excédée, désespérée, elle se saisit de sa lance de fortune et frappa à répétition avec la pointe de sa lance , pleurant de rage, comme si elle allait pouvoir percer le mur.
-Au palais de Walhalla, là où les braves vivent à jamais, hurla Astrid en tapant de toutes ses forces. Soudainement, et sans qu'elle comprenne pourquoi, elle se retrouva de l'autre côté de la muraille de roche, pourtant intacte. Mais elle n'eut pas le temps de se poser la question du pourquoi ... Le spectacle qui s'offrait à ses yeux était trop étonnant pour cela ...
-Baisse tes armes, Astrid. Et laisse moi te présenter Cantrusteihiae, avec qui nous avons EXACTEMENT le même sens de l'humour !
Astrid était bouche bée, partagée entre le soulagement et la fureur de s'être emportée pour rien.
Ces dernières minutes l'avaient faite passer par des montagnes émotionnelles plus hautes que les cimes de Jotunheim et elle trouvait Thorulf, confortablement installé dans le bras d'une géante de Pierre à se raconter des histoires drôles.
-Te souviens-tu de l'histoire du Britton, du Suedois et du Sami qui sont sur un pont ? Le Britton tombe à l'eau, le Sami plonge pour le sauver ... Qui est-ce qui reste ?
Avant même que Thorulf ne donne la réponse à sa devinette, Cantrusteihiae éclata de rire, et Turold aussi.
Le son cauchemardesque qui avait fait croire à un orage à toute la côte n'était que le rire de la géante.
-Comme je le pensais, Cantrusteihiae est une Elementale, et pas un dragon confia Grand-Nain à la jeune fille. Nous pouvons nous comprendre par l'esprit, sans parler la même langue. Juste grâce à ses vibrations, n'est-ce pas fascinant ?
-VOUS VOUS FICHEZ DE MOI ??? hurla Astrid.
En vérité, sa façon de le dire fut bien plus triviale mais il n'est pas de juron contemporain à la hauteur de ce qu'elle proféra.
-C'est bien beau tout ça mais pendant que vous vous racontez des blagues, le fou de la colline a fait prisonnier tout le monde et est prêt à brûler Klotilde et Solveig sur la plage en ce moment même. Alors tu fais un bisou à ta copine et TU VIENS NOUS AIDER !
-GGGGGLLMMBBBBLLLLLLLLLLLLL.
Cantrusteihiae se leva d'un coup, faisant une fois de plus trembler le sol, mais avec une grâce étonnante. Elle tendit la main dans laquelle était assis Turold vers Astrid. Et sans même ouvrir la bouche, sans produire un seul son, Astrid comprit ce que l'élémentale lui disait.
-Grimpe sur moi. Je vais vous aider.
...
Lancelin était littéralement en train de forcer la main de l'abbé Chaudmoite à lancer la première torche sur les pieds de Klotilde quand Astrid, Thorulf et leur nouvelle amie sortirent du labyrinthe des Roches Noires. La foule avait retenu son souffle, hypnotisée par l'évènement.
-Jetez cette torche à la mer ou vous finirez comme les crêpes aux mûres de madame Gigi, cria Astrid en les pointant de sa lance à la pointe de cristal.
Les hommes de main de Lancelin lâchèrent prise sur Solveig et Rolf sans attendre qu'il leur en donne l'ordre et l'abbé lui même poussa l'homme d'affaires de son chemin pour détacher Klotilde.
-Pardonnez-moi, j'ai été lâche souffla-t-il à Klotilde en défaisant les nœuds de ses liens. Et elle le comprit elle aussi sans parler sa langue.
A l'image de certaines andouilles qui insistent pour regarder les éclipses en face, mais non sans un certain courage, Lancelin se dressa avec fierté devant ce trio improbable.
-Vous faites les gros malins sur votre Dragon, vous vous croivez que vous êtiez les plus forts ! Mais c'est moi le plus fort de tous les hommes qu'on ait vu dans la région. Qu'on ait jamais vu ! Vous avez peut-être gagné la vie de vos femmes, mais vous ne serez pas Baron de la région tant que vous n'aurez pas tué la bête.
Rolf, leva aussitôt le doigt tel un professeur et se tourna vers Chevalier De Saint-Seine représentant du Roi qu'on avait peu entendu jusqu'à présent.
-Excusez-moi, dit-il dans une langue des Francs impeccable, mais je tiens à faire remarquer au représentant de sa majesté roi des francs quelques imprécisions dans les dires de cet homme.
-Je suis surtout étonné qu'un étranger comme vous ait pu comprendre quoi que ce soit à ce charabia, mais je vous en prie, exposez vos doléances et je serais heureux d'être à votre écoute.
Malgré la tension palpable, Rolf était heureux de pouvoir enfin exercer la langue locale avec quelqu'un qui la parlait telle qu'il l'avait apprise dans ses livres importés de Paris.
-Dis lui qu'on est pas les femmes de Thorulf, déjà. Je le trouve plutôt mignon, souffla Solveig à Rolf.
-Je doute que ça soit le bon moment, lui répondit-il en fronçant les sourcils, mais le sourire aux lèvres. Si j'ai bien lu le règlement, il stipule bien que la baronnie de la région serait offerte à quiconque "survit" à la créature. Je n'ai vu nulle part qu'il était fait mention de la tuer.
Le chevalier de Saint-Seine prit quelques secondes pour vérifier le document officiel tout en essayant de ne pas être déconcentré par les sourires de Solveig.
- Je me vois dans l'obligation de vous donner raison, monsieur Rolf. Le texte est formel et ne parle absolument pas de tuer qui ou quoi que ce soit.
De Saint-Seine s'adressa ensuite directement à la géante de pierre.
- Puis-je me permettre de vous demander votre nom, madame ?
- Cantrusteihiae. Répondit-elle.
- Et bien, madame Cantrus... Cranstr ... Madame. J'ai bien peur que la décision ne vous revienne. Je suis prêt à accorder la baronnie de la Côte Fleurie à monsieur Thorulf si vous consentez à ne pas l'écrabouiller comme les autres.
Cantrusteihiae déposa Turold et Astrid au sol et prit une position solennelle, faisant vibrer chaque pierre de son corps afin que toute l'assistance la comprenne.
"Je n'ai aucune envie, aucun besoin d'écrabouiller Thorulf. Ni aucun d'entre vous.
Depuis que le monde est monde, depuis que la roche est roche, je veille sur cet endroit, j'incarne cet endroit, je suis cet endroit.
Et il en sera ainsi jusqu'à la fin des temps. Vous ne pouvez rien y changer, et je ne peux moi-même rien y changer.
Je n'ai rien contre les humains, je vis en paix avec eux depuis des millénaires et vos organisations politiques ne regardent que vous.
Mais depuis plus de huit siècles maintenant, ceux qui veulent hériter de vos titres me défient avec leurs armes et leurs dieux.
Tout d'abord vinrent les Romains, et cette chipie d'Artemis qui tenta d'imposer ses règles ici à travers eux sous le faux nom de Diane.
Puis ces mêmes Romains changèrent d'avis et tentèrent de m'imposer le fils de leur nouveau Dieu unique, venu d'une contrée lointaine.
Puis le roi de votre nouveau pays a instauré ce concours et d'autres sont venus, de plus en plus nombreux.
Toujours au nom de leurs dieux, affublés de leurs idoles, de leurs symboles.
Hurlant des prières à des dieux qui me veulent du mal.
J'ai ressenti l'arrivée de Turold dès hier, j'ai ressenti quand il a fait retirer sa figure de proue par Astrid en marque de respect.
J'ai ressenti quand il a accepté de se faire bénir par l'abbé, encore en marque de respect.
Il est le premier à avoir pénétré ma maison sans breloque, sans armes et sans haine.
C'est parce que son premier geste en me voyant fut de me saluer que je ne l'ai pas écrasé comme les autres.
Je n'ai aucune objection à ce vous lui offriez les titres de noblesse qui vous conviennent tant que vos croyances seront proposées, et pas infligées."
Elle prononça cette dernière phrase avec sa bouche gigantesque. Dans la langue des humains. Le visage tourné vers Thorulf et Chaudmoite.
L'abbé Chaudmoite baissa la tête en signe de respect à Cantrusteihiae, tout en serrant le crucifix qui pendait autour de son cou dans sa main.
- En ce qui me concerne, je prie un Dieu créateur de toutes choses, et je vous dois le respect comme à tout être vivant. Tout ce que je demande est de pouvoir continuer à célébrer mon Dieu en paix.
-Est-ce que vous aimez les histoires drôles ? demanda Cantrusteihiae.
Chaudmoite releva la tête , pas certain d'avoir compris la question.
-Je ... Heu ... Parfois, oui ...
-Et bien je pense que nous pourrons nous entendre, dit-elle en se penchant vers le prêtre. Pour sceller cet accord je vous propose de tirer sur mon pouce.
Il s'exécuta et le tremblement de terre qui suivi provoqua un fou rire de la foule entière dont on reparla pour les générations à venir.
Non seulement inquiet de la tournure que prenait la situation, Lancelin commençait à être intimement saoulé par ces débordements de mièvreries et de bons sentiments.
- Vous croivez peut être que vous gagnez mais vous êtes toujours des étrangers et vous êtes les pires qu'on ait jamais jamais vu. C'est moi le commerce ici, c'est moi le vrai pouvoir et un jour je vais faire construire un mur sur la côte pour qu'on se protégeait des gens comme vous ! Et je serais le meilleur chef qu'on ait jamais jamais vu, jamais !
Un coup de bouclier asséné par Solveig interrompit ce discours qui commençait à devenir gênant pour tout le monde.
Et l'histoire se serait arrêtée là si Klotilde n'avait demandé à Rolf de traduire une prise de parole à tous.
"J'ai passé la nuit enfermée dans une des chambres bien gardée des mines du mont de Canisy.
Comme le savent bien mes amis ici présents, je ne me sens bien que sur les flots et souffre de "mal de terre".
J'étais donc penchée contre un des murs de la chambre, en train d'essayer de ne pas vomir, quand j'ai entendu des pleurs à travers le mur. En collant mon gobelet contre la paroi, j'ai entendu aussi des cliquetis de chaînes, et la voix de Lancelin qui les traitait comme des esclaves.
"Je suis persuadée que cet homme emprisonne des femmes dans des geôles cachées dans sa propriété, et je demande à notre nouveau Baron Turold de mener une enquête à ce sujet. Cantrusteihiae posa immédiatement son front contre la falaise, et fit vibrer sa tête d'une manière encore inédite.
-Ce que raconte le crâne rasé est vrai. Je les entends d'ici.
Il fut convenu que Cantrusteihiae , l'abbé Chaudmoite et Solveig iraient immédiatement au mont Canisy pour élucider cette affaire ensemble en signe de confiance commune.
Accompagnés des hommes de Lancelin qui prêtèrent serment à Thorulf sous l'œil du chevalier de Saint-Seine, les gardes de la propriété les laisseraient libérer les prisonnières en comprenant que toute résistance était inutile.
Ils emmenèrent aussi Lancelin avec eux, ligoté comme une belle paupiette dans le bute de l'enfermer dans ses propres geôles en attendant qu'il soit jugé équitablement.
-J'aurais bien aimé rester sur le dos de Cantrusteihiae, plaida Astrid en regardant la petite délégation partir vers les mines.
-Chacun son travail, je ne pense pas que cette mission soit de ton âge Astrid, répondit Turold.
-Nous la reverrons dès ce soir pour la fête que nous allons organiser. Et je pense que ta mission à toi va beaucoup te plaire, s'esclaffa Klotilde en clignant encore une fois de l'œil en direction de la jeune fille.
C'est effectivement Astrid en personne qui fut chargée de donner l'ordre de libération de l'équipage aux gardes du port, avec l'appui du chevalier De Saint-Seine.
Folker et Rolf se retrouvèrent enfin, ainsi que Turold et Klotilde avec tous les leurs.
-Mes amis, nous allons pouvoir envoyer le message aux autres navires de la flotte d'accoster, annonça Klotilde. Aussi fou que cela puisse paraître, Thorulf a été déclaré Baron de la région. C'est un peu comme un Jarl, apparemment, vous verrez, on vous expliquera.
Turold posa sa main sur l'épaule de Klotilde.
- Nous n'en avons pas encore parlé ensemble, mon amie. J'imagine que je pourrais léguer mon titre à quelqu'un de plus intéressé et nous pourrions continuer notre voyage.
- Mais voyons Thorulf, nous sommes partis pour étudier cette terre et tu as lié des liens d'amitiés avec une de ses divinités nourricières en une journée. Les habitants d'ici ne savent plus faire la différence entre un élémental et un dragon. Ils ont besoin de quelqu'un comme toi, pour un temps au moins.
- Mais ton pays est la mer, et je n'envisage pas mon travail sans ton aide.
- Tous les marins ont un port d'attache, on s'organisera.
...
Et c'est ainsi que Thorulf devint le premier Baron de la côte fleurie qu'il dirigea des années durant.
Le port de L'Algia fut renommé des années plus tard en son honneur.
Le nom de la localité est attesté sous la forme finale latinisée Torouvilla (dérivée de Turold,(Thorulfr/Þórvaldren) entre 1220 et 1223. Elle s'appelle aujourd'hui Trouville-sur-mer.
Lancelin et la dizaine d'hommes dans la confidence de son trafic d'esclaves furent condamnés à la pire des sentences :
Un exil forcé vers la sombre Bretagne, pays de cauchemar dont personne ne revenait jamais vivant.
La plupart de ses autres hommes rejoignirent les rangs de Klotilde qui fit quelques travaux sur le Jormun pour l'aménager en maison flottante installée dans le port.
Elle fut nommée cheffe des armées de la baronnie et dirigea le port de l'Algia et avec l'aide des frères Kobbold elle entama de grands travaux pour le rendre plus praticable afin d'éviter les embouteillages.
Thorulf et Solveig prirent tous deux leurs quartiers dans un autre port en amont du fleuve, la bonne ville de Touques située à deux kilomètres à peine. Grâce à ses talents de diplomate, Thorulf réussit à garder l'afflux de visiteurs nécessaire à la vie économique de la région, et les combats contre Cantrusteihiae furent remplacés par des tables rondes de discussion avec elle.
Les gens vinrent tout aussi nombreux, autant fascinés par la rencontre avec la géante de pierre que par les recettes de crêpes de Gigi qui se transmirent de génération en génération en son honneur.
Si Thorulf et Klotilde devinrent des icônes fondatrices de ce qu'on appelle aujourd'hui la Côte Fleurie, c'est Astrid qui deviendra une des héroïnes les plus marquantes de l'histoire de la Normandie.
Mais comme le disait l'autre, "ceci est une autre histoire" .
...
- Thorulf, il y a quelque chose qui me chiffonne.
-De quoi veux-tu me parler, Astrid ? -Quand j'étais à ta recherche dans le labyrinthe, je n'ai jamais trouvé l'entrée de l'endroit où vous étiez avec la géante. De rage, je me suis mis à frapper la roche avec la pierre précieuse de mes parents ... Et je me suis soudainement retrouvée en face de vous, en oubliant complètement comment j'étais arrivée là.
- Tu n'as rien oublié, Astrid. Tu es simplement passée à travers le mur grâce à ton éclat. - Mon éclat ? - Ta pierre. Celle qui te reste de tes parents. Ceci est un éclat de Bifrost. La source de magie des bifrosters. - Qu'est-ce qu'un bifroster ? -C'est ce que nous allons faire de toi.
Ecrit et illustré (sauf quand mentionné) par Thomas Lesourd.
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